Blog-notes N°4 – Cannes Back

Blog-notes N°4 – Cannes Back

La séance de clôture du festival de Cannes a fait scandale. Tant mieux. Voilà une excellente occasion de remettre quelques pendules à l’heure.

 

La ministre de la Culture pense que lorsqu’un film bénéficie de subventions, il impose à ses auteurs une obligation de réserve, pour ne pas dire une interdiction de critiquer le pouvoir en place. Ainsi ministres et chevaux légers de la macronie se sont succédés sur les chaines pour s’indigner de la prise de position de Justine TRIET à propos de la réforme des retraites.

 

Pourtant tout sonne faux dans les indignations ministérielles. Ainsi quand le ministre Lescure Roland (Industrie) évoque « l’ingratitude d’une profession », il eut été bien inspiré de s’informer préalablement auprès d’un certain Lescure Pierre, ancien président du festival de Cannes sur le financement du cinéma français. Ce dernier ne vit non pas de l’impôt des Français mais de sources variées (chaînes TV, producteurs, distributeurs…) Le CNC (Centre National du Cinéma) participe également, mais son budget est issu de taxes sur les billets (les films étrangers participent à la création française), sur les chaines de télévision et sur la vente de DVD et Blu-Ray ; c’est donc le public qui finance le cinéma, et non le contribuable.

 

Surtout la culture ne sera jamais servage. Elle interroge nos modes de vie et de pensée. Elle est un antidote au pouvoir personnel, au culte de la personnalité. Tous les autocrates commencent toujours par mettre au pas les artistes, figures libres et volontiers insolentes. Figures nécessairement libres et insolentes. Culture et démocratie sont indissociablement liées.

 

C’est, en d’autres mots, ce que dit Bruno Dumont prix spécial du jury en 1999 : « ce qui est important c’est que ce cinéma existe encore, qui fait que les cinéastes sont des Hommes et des Femmes qui marchent devant les publics et pas derrière, qui inventent des mondes et tendent des mains aux spectateurs ».

 

Ken Loach, palme d’or en 2016 avec « Moi, Daniel Blake » ne mâche pas plus sa critique de l’ordre économique que Justine Triet : « Le cinéma fait vivre notre imagination, apporte au monde le rêve, mais nous présente le vrai monde dans lequel nous vivons. Mais ce monde se trouve dans une situation dangereuse. Nous sommes au bord d’un projet d’austérité, qui est conduit par des idées que nous appelons néo-libérales qui risquent de nous mener à la catastrophe. »

 

Le cinéma c’est d’abord un regard jeté sur la vie, un lien entre ceux qui mettent en images et ceux qui, spectateurs, se voient offrir un miroir, comme le proclamait Godard au mois de mai 68 lorsqu’il appelait à l’interruption du festival de Cannes : « Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons ! ».

 

Justine Triet a été depuis samedi soir caricaturée en championne de la gauche, biberonnée au champagne et aux subventions, ce qui la disqualifierait à porter une parole critique. Pour être de gauche, pour être solidaire, il faudrait nécessairement être pauvre.

Et appartenir au monde fantasmé du cinéma et plus généralement des arts vaudrait adhésion à la classe des dominants.

 

Enfin dernière salve du pouvoir, parler du travail et des retraites serait hors sujet car le festival de Cannes est international et la réforme Macron serait un sujet strictement franco-français. Pourtant le travail est par essence une lutte internationale. Les libéraux mettent en concurrence les salariés, les ouvriers, les ingénieurs pour s’affranchir d’une juste répartition de la richesse produite. La fête du 1er mai, est née à Chicago pour devenir mondiale. Et le combat mené en France contre la réforme des retraites est devenu source d’inspiration pour des millions de syndicalistes dans le monde comme ils ont d’ailleurs tenu à le signifier en participant cette année, à Paris, à la fête des travailleurs. C’est au nom de ce que n’ont pas encore obtenu les autres peuples, qu’on cherche ici, à réduire ce qui a été conquis. C’est au nom de ce que nous avons imposé ici comme modèle social que d’autres cherchent à obtenir de nouveaux droits. Rien n’est écrit dans le marbre. Tout est rapport de force.

 

Je reviens à la culture ; ces réactions dociles des courtisans reprennent beaucoup de la vision d’Emmanuel Macron. Je vous renvoie à cet effet à sa déclaration le 3 juin 2022 devant les acteurs de l’esport français : « On a des salles de cinéma qu’il faut réinventer complètement parce que le modèle est en train de changer. Les usages changent. Et donc, il ne faut pas rester tous bloqués en se disant, on va toujours aller voir un film, ce n’est pas à vos générations que je vais dire qu’on ne regarde plus le cinéma, les séries de la même façon qu’il y a même 5 ans, ou avant le Covid. On a des infrastructures qui existent, qu’il faut complètement réinventer avec l’Esport. Je pense que nous, on va bosser avec vous pour se donner des perspectives communes et justement, vous accompagner, vous aider à multiplier les évènements. Et en plus, moi, je vous félicite parce que sur beaucoup de ces évènements, vous avez à chaque fois su mêler le sport, le culturel, le caritatif, ce qui je pense est un formidable esprit ».

 

Ces déclarations témoignent d’une certaine vision du cinéma, considéré comme un produit de consommation parmi d’autres, remplaçable et interchangeable. L’essentiel serait de valoriser « les lieux de création, d’invention, mais qui vont être aussi des secteurs, où on va énormément créer de valeur ».

 

Lorsque Justine TRIET dénonce la marchandisation de la culture, elle n’est pas hors sujet. Elle frappe juste et fort.