Interview au Monde « Il n’y a pas d’écologie possible sans justice sociale »

Interview au Monde « Il n’y a pas d’écologie possible sans justice sociale »

Le premier secrétaire du Parti socialiste souhaite « des mesures radicales pour tenir compte de l’urgence climatique », mais estime que « le logiciel écologiste ne peut être le seul filtre ». L’université d’été du PS s’ouvre à Blois, vendredi.

Par Publié le 28 août 2020

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, dans la roseraie des jardins de l’Evêché à Blois (Loir-et-Cher), le 27 août.

Alors que s’ouvre l’université d’été du Parti socialiste (PS), vendredi 28 août à Blois, Olivier Faure, son premier secrétaire, revient sur les enjeux de la rentrée politique pour la gauche et les écologistes. A ses yeux, s’ils veulent peser à la présidentielle de 2022, ils doivent former une coalition et ce, dès les régionales.

Quel regard portez-vous sur la rentrée politique et sociale ?

Nous faisons face à une menace épidémique réelle. Nous devons tous être vigilants et solidaires des décisions prises. Rien ne serait pire qu’un nouveau confinement. Mais admettez que cela aurait été plus simple si le gouvernement n’avait pas exprimé des positions contradictoires sur les masques avec la même conviction. Et si la gratuité pour les enfants avait été adoptée.

Mais cette rentrée se fait aussi sous le signe d’une inquiétude sociale forte. Comment comprendre que le gouvernement ait pris trois mois pour présenter son plan de rebond ? Chaque semaine perdue se paiera en faillites et en licenciements. Quant à la rentrée scolaire, les enseignants découvrent à une semaine de l’échéance la façon de l’organiser. On espérait moins d’improvisation.

Vous avez appelé votre université d’été « Le rendez-vous de la gauche d’après ». Quel sens entendez-vous lui donner ?

La gauche et les écologistes ont vu, avec la crise sanitaire, la validation de ce qu’ils portent : l’Etat-providence pour amortir la brutalité de la crise, l’impératif écologique pour protéger la planète, les services publics pour prendre soin des autres, la protection des biens communs pour préserver l’essentiel.

Mais cette crise est comme une pièce jetée en l’air : côté face, c’est l’opportunité de réussir la transformation de la société française, de réussir une société plus juste, plus écologique, plus démocratique et plus féministe ; côté pile, le jour d’après est pire que le jour d’avant.

Vous êtes arrivé il y a deux ans à la tête du PS, en promettant une « renaissance ». Le contrat est-il rempli ?

Les municipales ont validé la vision de reconquête par les territoires que je défendais. Mais je ne suis pas de ceux qui fanfaronnent en s’estimant propriétaires des voix recueillies. Ce résultat est un socle, mais il n’y a pas de rente de situation. Ni pour nous ni pour personne. Il faut démontrer son utilité à chaque scrutin.

Vous affichez beaucoup votre volonté d’unité mais cela n’avance guère…

Les municipales ont démontré que le rassemblement de la gauche et des écologistes correspondait à une attente forte. Aujourd’hui, tout le monde évoque le rassemblement comme impératif, mais trop en parlent en l’imaginant exclusivement derrière eux. C’est absurde de chercher à obtenir la reddition de ses partenaires, c’est l’assurance de casser toute dynamique collective.

Ce qu’il faut, c’est construire un projet de coalition qui respecte chacun et permette de gouverner ensemble, demain des régions et des départements, après-demain le pays.

Ayons chacun la lucidité sur le fait qu’aucune formation ne peut gagner seule et que personne ne s’imposera aux autres. Soyons cohérents. On ne peut pas reprocher une vision jupitérienne du pouvoir et la reproduire nous-mêmes.

Cela fait des mois que vous répétez ce mantra et, pourtant, tous les partis ont préféré faire leur université d’été dans leur coin.

Tous seront à Blois. L’unité à gauche est un chemin exigeant. Ça a toujours été le cas. Mais c’est toujours unis que nous avons réussi à changer la vie des Français.

Vous ne semblez guère entendu… La voix du PS pèse-t-telle encore ?

Je crois avoir été entendu par les Français aux municipales. Ils n’en peuvent plus de ces querelles médiocres qui les privent de l’espérance d’une alternance. Les logiques à l’ancienne où chaque écurie espère s’imposer, ça suffit ! Et je le dis pour les autres comme pour nous-mêmes. Le bon chemin, c’est celui où chacun s’interroge sur ses propres erreurs. Nous sommes les seuls à avoir fait notre inventaire alors que nous ne sommes pas les seuls à avoir perdu. Nous, socialistes, savons que nous devons changer, rompre avec le productivisme, redéfinir le progrès.

Nous devons prendre des mesures radicales pour tenir compte de l’urgence climatique. Mais je le dis aussi : mon écologie est humaniste. Elle ne déifie pas la nature. Elle refuse de calquer l’ordre social sur l’ordre naturel. La loi de la nature, c’est celle du plus fort. Le logiciel écologiste ne peut être le seul filtre à travers lequel tout doit être regardé. Il n’y a pas d’écologie possible sans justice sociale.

Les régionales approchent et on voit les candidatures d’Europe Ecologie-Les Verts fleurir, comme celle du secrétaire national Julien Bayou pour la région Ile-de-France. Est-ce une mauvaise manière faite au PS ?

Que chacun dise ses ambitions n’est pas choquant. Nous ferons de même. Mais ensuite, il faut se parler et choisir, région par région, celle ou celui qui incarne le mieux le projet commun et semble le mieux placé pour l’emporter. Les premiers tours seront déterminants. Ils conditionnent les chances de victoire.

Prenons l’exemple de la région Rhône-Alpes : lors des municipales, les écologistes ont gagné des positions importantes (Lyon, Annecy, Grenoble) ; de notre côté, nous avons conquis Chambéry et gardé Clermont-Ferrand. Dans le seul sondage connu, les écologistes sont certes en tête de la gauche, mais en quatrième position, loin derrière Laurent Wauquiez [Les Républicains], qui est à 31 %. Rassemblée, la gauche serait au même niveau. Je dis aux écologistes : je suis prêt à discuter partout des meilleures conditions de la victoire.

Comment procéder pour avancer sur cette coalition et sa traduction aux régionales ?

J’expliquerai, dans mon discours samedi, quel est pour moi le mode d’emploi du rassemblement qui respecte les apports singuliers de chacun. Seul l’intérêt collectif doit nous guider. On ne peut pas dans la même phrase expliquer que nous avons dix ans pour éviter une catastrophe écologique, que la crise sociale suppose des réponses immédiates et passer notre temps à jouer en espérant chacun prendre le leadership.

Sinon, le résultat c’est la défaite et le dégoût d’électeurs que l’on condamne à vivre le duo/duel Macron-Le Pen. Moi, je veux rompre avec cet esprit de défaite. Je veux bâtir avec ceux qui y sont prêts une alternative sociale écologique. L’urgence est là. Nous sommes attendus. Soyons ensemble à la hauteur du moment.