TRIBUNE Réussir la rentrée, réussir l’année scolaire 2020-2021

TRIBUNE Réussir la rentrée, réussir l’année scolaire 2020-2021

J’ai signé dans Libération cette tribune au côté de Yannick Trigance, secrétaire national à l’Education.

Notre école n’est pas une bulle «hors-sol», à l’écart de notre vie quotidienne, bien au contraire. En ce mois de septembre, elle ne peut reprendre comme avant. Au plan sanitaire, le virus n’a pas disparu et il impose une rentrée sous surveillance. Au plan scolaire, la fin de l’année et les vacances n’ont pas permis de rattraper le retard pris et de combler les inégalités entre les élèves. C’est pourquoi, dans ce contexte, qui reste marqué du sceau de l’instabilité et d’une crainte permanente d’une nouvelle vague épidémique qui n’épargne pas l’école, deux axes nous apparaissent essentiels pour réussir la rentrée et au-delà, l’année scolaire à venir : aider les familles et les élèves en difficulté et donner à l’école les moyens de réussir sa mission.

Au-delà de l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, il convient d’atténuer plus avant le coût de la rentrée pour les familles et de bien préparer les enfants à leur retour en classe. Les masques doivent être gratuits pour les élèves. Un jeu de dix masques lavables devrait être proposé à chacun. Le coût mensuel pour les familles est élevé. Rien ne serait pire que de s’apercevoir avec retard que des enfants utilisent des masques souillés pour faire semblant de respecter des règles que leurs parents ne peuvent supporter financièrement. La tarification sociale des cantines devrait être mise en place partout, en lien avec les collectivités territoriales. L’Etat devrait, pour sa part, s’engager en finançant par exemple la création d’une tranche gratuite pour la restauration scolaire à destination des familles vivant sous le seuil de pauvreté.

Lors de la crise sanitaire, de nombreux étudiants se sont retrouvés avec des ressources diminuées – voire sans ressources, sans accès aux restaurants universitaires et en difficulté pour vivre au quotidien – ce qui a pu affecter leurs études. Le gouvernement a annoncé une revalorisation des bourses à hauteur de 1,20%, ce qui reste insuffisant pour la Fédération des associations générales étudiantes – chiffrant à 3% et l’Unef à 3,6% l’augmentation du coût de la vie étudiante avec, notamment, un budget lié au coût des masques qu’il faudra porter pendant les cours. Le doublement du nombre de bourses à taux zéro s’impose plus que jamais, tout comme le gel du prix des restaurants universitaires et des loyers des résidences universitaires pour 2020 et 2021.

Les professeurs spécialisés et les psychologues scolaires sont des renforts utiles aux équipes enseignantes et aux parents. Dans le contexte inédit que connaît l’institution scolaire, il n’est pas possible qu’elle se prive de leurs compétences. Les besoins en postes existaient avant la crise sanitaire, ils n’ont pas disparu depuis, bien au contraire. C’est pourquoi un moratoire sur la fermeture des postes en Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) devrait être appliqué, ainsi qu’une carte des renforts nécessaires en lien avec le collectif national des Rased. Dans le second degré, l’abondement des fonds sociaux des établissements constitue une urgence absolue pour les familles pauvres et leurs enfants.

En dépit des efforts qui ont pu être faits pour le recrutement de postes d’accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH), la situation n’est pas satisfaisante sur le terrain. Ces élèves ont vécu péniblement le confinement et, depuis la reprise, bien peu d’entre eux ont pu retourner dans les écoles et établissements scolaires. Le statut des accompagnants devrait être sécurisé et une véritable formation dispensée. Les classes dans lesquelles sont scolarisés des élèves en situation de handicap ne devraient pas excéder vingt élèves et les élèves inscrits dans des dispositifs Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire) devraient être pris en compte dans les effectifs de classe en application du décret de la rentrée 2019.

La période de confinement et la reprise des cours, en dépit de l’investissement des enseignants et des collectivités locales, ont été particulièrement préjudiciables pour les élèves scolarisés en REP et en REP+. Les conditions de logement, le manque de ressources dans l’univers familial, l’absence de matériel ont eu des répercussions sur les apprentissages scolaires de ces élèves. Pour remobiliser les élèves et les équipes pédagogiques, des moyens supplémentaires devront être engagés, en particulier dans les classes charnières.

Tout n’est certes pas réductible à une question de moyens, mais sans moyens suffisants, c’est la meilleure façon de faire échouer les élèves, notamment ceux qui décrochent ou ont de réelles difficultés à suivre en classe. En ce qui concerne le premier degré, il faut opter pour une réelle différenciation pédagogique : le niveau des élèves en cette rentrée de septembre sera très hétérogène. Il dépendra fortement de la manière dont les élèves ont pu être aidés et accompagnés durant les six derniers mois. Il conviendrait de faciliter la différenciation pédagogique au sein des classes. D’autant que si l’on en croit Roland Goigoux, professeur à l’université de Clermont-Auvergne, le dispositif des classes dédoublées en grande section, CP et CE1 est à la fois très coûteux et peu efficace. Le gouvernement devrait relancer le dispositif «plus de maîtres que de classes» en réallouant une partie des moyens affectés aux classes dédoublées, ce qui permettrait de toucher un plus grand nombre d’écoles au bénéfice d’un plus grand nombre d’élèves – environ six fois plus.

Quant au second degré, il est en souffrance : pour rappel, le gouvernement a fait voter la suppression de 440 emplois alors qu’il faudra accueillir 30 000 élèves supplémentaires dans le secondaire. Il conviendrait, à l’inverse, de donner des moyens au second degré et d’ouvrir des postes en conséquence aux concours de recrutement afin de pourvoir ces nouveaux postes.

L’enseignement professionnel est délaissé : la reprise des cours en lycées professionnels, qui scolarisent 643 800 jeunes, soit 40% des lycéens en France, ne peut pas s’envisager à moyens constants. C’est «la première priorité» du ministre Blanquer, mais c’est là aussi où le taux de décrocheurs a été le plus important. Les enseignants demandent, à juste titre, un accroissement du nombre de places dans les lycées professionnels et les sections de techniciens supérieurs, pour permettre la poursuite ou la reprise de formation des jeunes dont le contrat d’apprentissage aura été rompu ou dont le projet d’insertion professionnelle est remis en cause par la situation économique dégradée.

Plus que jamais, les enseignants ont besoin de travailler dans un environnement sécurisé et reconnaissant, à la hauteur de leur niveau de qualification et de leur responsabilité sociale. La revalorisation engagée depuis 2016 dans les Parcours professionnels carrières rémunérations (PPCR) doit être poursuivie. Les salaires doivent être revus à la hausse, non pas pour compenser les effets d’une réforme annoncée des retraites injuste, mais pour mieux apprécier leur travail et prendre en compte l’utilité sociale de leur métier. La promesse d’une loi de programmation pluriannuelle sur la période 2022-2026 devra être tenue et le montant des enveloppes discuté avec les partenaires sociaux. Au total, il s’agit moins «d’improviser l’école de demain sur une crise», (Thibaut Poirot) que d’arrêter d’improviser l’école sur un système éducatif en crise miné par des inégalités structurelles à corriger. C’est un enjeu mais surtout un défi : celui de garantir le droit à la réussite pour tous nos jeunes, quel que soit l’endroit où ils vivent, quel que soit le milieu d’où ils viennent, partout sur le territoire de la République.