Interview dans les Echos

Interview dans les Echos

Olivier Faure : « Ne fracturons pas l’union nationale »

Olivier Faure était interviewé par les Echos à quelques heures des voeux du Président de la République au Français. Il a à nouveau exprimé son opposition à la déchéance de nationalité prévue par le projet de réforme consitutionnelle présenté en Conseil des ministres le 23 décembre. Il est également revenu sur les avancées et les réformes des trois premières années du quinquénat dans le domaine économique et social.

 

Les vœux annuels du chef de l’Etat sont un moment de rassemblement du pays au-delà des polémiques de second ordre. Après une année marquée par la tragédie, c’est plus que jamais nécessaire. Il faut bien entendu rappeler nos valeurs fondatrices, mais plus encore leur donner une traduction qui corresponde au moment que nous traversons. Qu’est-ce que la liberté quand on vit sous la menace permanente du terrorisme ? Quelle égalité entre les citoyens, les territoires, quand surgit la tentation du repli identitaire ou communautaire ? Quelle fraternité quand la peur conduit aux pires amalgames ?

Avec la déchéance de nationalité, François Hollande est loin de rassembler et d’apaiser…

Le président est dans son rôle lorsqu’il propose, le Parlement, pouvoir constituant, est dans le sien lorsqu’il établit le rapport efficacité/coût de la mesure. L’objectif commun, c’est de mettre hors d’état de nuire les terroristes. Est-ce que la déchéance pourrait y contribuer? Non. Le Premier Ministre l’a reconnu lui-même : c’est une mesure purement symbolique. Elle n’aurait aucun effet sur un djihadiste qui méprise jusqu’à sa propre vie. Inversement, la déchéance peut avoir de puissants effets contreproductifs car elle peut devenir dans la martyrologie propre aux fanatiques, un titre de gloire. Une sanction cela doit faire mal. Quand ce n’est pas le cas, il faut se poser la question. Les adeptes de la secte Daech ne revendiquent qu’une seule nationalité, celle d’un Etat qui n’existe pas.

Ici, sur notre sol, cette mesure pourrait aussi être utilisée par les recruteurs djihadistes qui cherchent à fragiliser puis à anéantir les liens de certains jeunes avec la France. Cette nationalité à deux vitesses pourrait devenir un argument vis à vis de jeunes qui se vivent déjà comme rejetés de la communauté nationale et pousser les plus instables psychologiquement à la radicalisation. Rappelons que leur bi-nationalité n’est pas le plus souvent leur choix mais le résultat d’une décision unilatérale du pays d’origine de leurs parents.

C’est surtout une mesure inexplicable aux pays avec lesquels nous devons coopérer dans la lutte anti terroriste. Comment leur dire que la France déchoit des individus condamnés pour terrorisme et les renvoie vers leurs pays dit d’origine alors que ces pays tiers ne les connaissent pas. Il y a une forme de déni dans la déchéance. Cela revient à dire au monde que les Français ne peuvent pas être barbares et que s’ils le sont, c’est qu’ils ne sont pas Français ou en tous cas que la France refuse d’en supporter la responsabilité. Et que ferons nous lorsqu’un autre pays sera plus rapide que nous à déchoir un terroriste de sa nationalité?

Enfin la déchéance établit un lien causal implicite entre terrorisme et immigration. Le terrorisme n’a pas de nationalité. Il les a toutes. Même si ce n’est pas l’intention du projet, renvoyer les bi nationaux à leur situation d’enfants d’immigrés après deux ou trois générations, c’est une erreur.

Souhaitez-vous que le président recule lors de ses vœux ?

Non. Le président a mis cette proposition sur la table dans un souci d’unité. Il y aura un débat parlementaire qui dépassera largement le clivage gauche-droite si j’en juge par les déclarations très contrastées à droite. Si cette mesure fracture l’union nationale, alors mon pronostic est qu’elle ne sera pas adoptée. La restauration d’une peine d’indignité nationale – symbole pour symbole – semble recueillir davantage de consensus parce qu’elle a le mérite de ne pas distinguer les Français selon leurs origines.

Redoutez-vous l’impact ­politique de cette mesure ?

Poser la question en ces termes reviendrait à dire qu’il faut y renoncer pour des raisons de tactiques électorales, alors qu’il faut y renoncer parce qu’elle n’atteint pas les objectifs qu’elle s’assigne. Mais incontestablement, ce débat divise à un moment où, la tripartition de la vie politique impose de rassembler son camp pour se qualifier au second tour.

François Hollande est-il encore de gauche ?

Je m’oppose aux caricatures qui vont jusqu’à comparer le gouvernement de Vichy qui a livré des juifs parce que juifs à un gouvernement qui propose de déchoir des nationaux parce que terroristes. l’hystérisation permanente du débat public a conduit à la décrédibilisation de la parole publique. Je suis pour une gauche qui avance les yeux ouverts. C’est à dire qui, sans renoncer à ses valeurs, tienne compte des rapports de force politiques et des évolutions économiques mondiales. Quoi qu’en pense la gauche de la gauche, Hollande ce n’est pas Cameron. Depuis 3 ans le président a conduit des réformes sans plonger le pays dans l’austérité. Des efforts ont été demandés mais sans commune mesure avec ce que nos voisins ont subi. Pour ceux qui auraient des doutes, je suggère de relire l’interview très explicite donnée par N. Sarkozy dans vos colonnes il y a quelques mois. La droite propose une purge sociale là où François Hollande conjugue redressement économique et ouverture de nouveaux droits : compte pénibilité, compte formation, tiers payant, complémentaire santé pour tous…

Que conseilleriez-vous au président pour 2016 ?

Je continue de défendre une idée simple, repoussée jusqu’ici : l’activation des dépenses passives. Mieux vaut financer des gens dans l’emploi que les indemniser dans le chômage. Pourquoi ne pas utiliser une partie des indemnités pour alléger pendant une durée définie les cotisations des employeurs qui embauchent, par exemple, des chômeurs de longue durée? Pour le petit entrepreneur, c’est toujours difficile de prendre un salarié sans vérifier que l’activité suivra et solvabilisera l’emploi. cette mesure permettrait de partager le risque. Plus largement, puisque la France a retrouvé une crédibilité et une voix, il faut qu’elle l’utilise pour obtenir davantage de régulation au niveau européen. Par exemple sur les transactions financières comme sur les travailleurs détachés.

La censure, par le Conseil constitutionnel, de l’amendement Ayrault sur la CSG dégressive clôt-il le débat ?

Je regrette cette décision qui fait prendre du retard à une réforme nécessaire. En France l’imposition sur le revenu est le cumul de l’IRPP et de la CSG. L’IRPP est un impôt progressif mais que paient moins d’une moitié des contribuables. La CSG est payée par tous mais avec un taux uniforme sans lien avec le niveau des revenus. Nous sommes au bout de ce système devenu opaque et injuste.

Pierre-Alain Furbury, Les Echos

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