Libération – Des déclarations pas dénuées d’intérêts

Libération – Des déclarations pas dénuées d’intérêts

DÉCRYPTAGE

Les informations rendues publiques jeudi permettent d’établir une cartographie inédite du Parlement.

Certains parlementaires ont été consciencieux. Et ont rempli avec sérieux leur déclaration d’intérêts et d’activités. D’autres par-dessus la jambe. Gribouillages, ratures : le formulaire transmis à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), comme la loi les y oblige désormais, traduit parfois une vraie désinvolture. Thierry Jalton, député divers gauche de Guadeloupe, a biffé maintes fois sa copie, plus proche du brouillon, et omis d’indiquer son prénom. Patrick Balkany (UMP) a, lui, oublié de mentionner sa… femme, Isabelle, sa première adjointe à Levallois. François Fillon ne déclare, lui, aucune activité professionnelle ces cinq dernières années… Reste que ces déclarations constituent une mine d’infos sur nos parlementaires.

Parlementaires et avocats

Ils sont une quarantaine. Selon le président de la Haute Autorité, Jean-Louis Nadal, seule «une infime minorité» peut se trouver en situation de conflits d’intérêts. Cette double casquette avait déjà été jugée problématique dans la foulée du scandale Cahuzac. Avec dans le viseur les avocats d’affaires, le gouvernement avait envisagé de rendre ce métier incompatible avec l’exercice d’un mandat, avant de renoncer.

Cette activité parallèle peut en tout cas s’avérer très lucrative. Jean-François Copé dit avoir gagné, à ce titre, 313 703 euros en 2012 puis 184 734 euros en 2013 mais seulement «jusqu’au 30 juin», précise-t-il. Lui qui a été accusé à plusieurs reprises de conflit d’intérêts a annoncé, au printemps 2013, se «consacrer exclusivement à [sa] mission au service de [sa] famille politique». Démissionné depuis de la présidence de l’UMP, il compte reprendre la robe. Frédéric Lefebvre, élu en juin 2013 lors d’une partielle, déclare un bilan net «estimé à» 207 575 euros. Et Gilbert Collard (apparenté FN) chiffre ses activités au barreau à 192 000 euros en 2013. Certains députés, avocats lors de leur élection, choisissent de s’omettre du barreau. C’est le cas des PS Pascal Cherki ou Christophe Caresche.

Les PME familiales

Dix à 15% des parlementaires déclarent un collaborateur ou une collaboratrice portant leur nom (lire Libération du 23 juillet). Comme par exemple les députés Marc-Philippe Daubresse (UMP), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) ou Eric Ciotti (UMP).

Les hauts revenus

Ils gagnent plus de 100 000 euros annuels pour leurs «autres» activités. Soit beaucoup plus que leur indemnité parlementaire, en moyenne 62 400 euros par an. Gérant de son agence, 2F Conseil, François Fillon (UMP) a touché 142 500 euros en 2013. Moins que Luc Chatel, qui a empoché, la même année, 183 135 euros pour son activité de conseil en stratégie. Sans surprise, Olivier et Serge Dassault (UMP) ont rendu des déclarations longues comme le bras. Le premier se dit administrateur ou membre du conseil de surveillance de neuf sociétés. Mais il affirme que certaines missions ne sont pas rémunérées «sauf jetons de présence», sans préciser à combien ils s’élèvent. En tant que président du conseil de surveillance du groupe industriel Marcel Dassault, il indique tout de même gagner 357 567 euros annuels… hors jetons de présence, encore. Le sénateur (PRG) Jean-Michel Baylet ne compte pas moins de quatre activités annexes en 2013 : PDG du groupe Dépêche du Midi (377 159 euros), président d’une société de communication (144 983), président de la SA Midi olympique (155 163) et de la SAS Nouvelle République des Pyrénées (23 575 euros).

Les conflits d’intérêts potentiels

Certaines activités sont susceptibles de cogner avec la mission du législateur. Le député (Modem) de la Réunion Thierry Robert, comme associé dans la SARL Robert immobilier, a touché en 2010 et 2011, 435 000 euros de dividendes. Les textes prévoient que le mandat de député est incompatible avec l’exercice d’une fonction dans «les sociétés exerçant certaines activités immobilières à but lucratif». Est-ce le cas, en l’occurrence ? La publication de ces déclarations peut permettre certaines clarifications… La question se pose aussi pour le député UMP Philippe Briand, questeur de l’Assemblée et trésorier de la dernière campagne de Nicolas Sarkozy : il déclare 361 000 euros de dividende pour 2013 grâce à une société de gestion de patrimoine foncier.

Les bons élèves

Il y a ceux qui n’ont pas grand-chose à déclarer et ceux qui prennent soin de ne rien omettre. La déclaration de la députée (PS) Barbara Romagnan, en pointe sur les questions de transparence ou de non-cumul des mandats, n’est pas très chargée. Et pour cause, elle n’a pas d’activités annexes, pas de participation financière. Le socialiste Patrick Bloche a rempli de façon très complète «les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts», notamment dans le secteur de la culture comme administrateur du Festival d’automne, du musée du Quai-Branly ou comme président de la Maison des métallos… Ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault Premier ministre, le député Olivier Faure n’omet pas de mentionner cette ligne de CV, ni les mandats dont il a démissionné à son entrée au Palais-Bourbon. Il répond aussi à la question d’une éventuelle «participation directe dans le capital d’une société à la date de l’élection» : «Crédit agricole, une action, 16 euros.» L’UMP Bruno Le Maire, au titre des «observations», tient, lui, à préciser que «les droits d’auteur sont variables d’une année sur l’autre», pouvant atteindre 80 000 sur une année «pour une publication réussie (Jours de pouvoir) à quelques centaines d’euros une autre année».

Charlotte ROTMAN et Laure EQUY

Source de l’article sur le site de Libération.