« Quelque chose s’est libéré en moi » : Olivier, le nouvel homme Faure

« Quelque chose s’est libéré en moi » : Olivier, le nouvel homme Faure

Article de Rémy Dodet à lire ici.

 

Les sourcils froncés, la voix qui porte, le doigt pointé à la façon d’un procureur, Olivier Faure sort de ses gonds. Nous sommes le 11 juillet à l’Assemblée nationale. Elisabeth Borne vient d’achever son discours de politique générale. Quelques jours plus tôt, les « marcheurs » ont aidé le Rassemblement national à obtenir deux vice-présidences. A la tribune, Faure se fâche. « Taisez-vous maintenant, vous fissurez toutes les digues. » Piquée au vif, la Première ministre ajuste son collier, grommelle quelques mots derrière son masque. Plus haut, les « insoumis », les communistes et les écolos sont déjà debout pour saluer le punch inattendu du premier secrétaire du Parti socialiste. Ils l’applaudissent à tout rompre comme s’il était enfin l’un des leurs. Le symbole parfait d’une gauche unie derrière l’un de ses leaders.

Olivier Faure, ces temps-ci, est même un peu plus que ça. C’est l’homme du moment, la nouvelle star ou presque, celui qui s’affirme et se révèle parmi les quelque 150 députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Longtemps, il fut pour beaucoup ce leader sans charisme, capitaine un peu falot d’un navire sans cap ni matelots. Depuis qu’il a topé avec Jean-Luc Mélenchon, sauvé le groupe des députés socialistes à l’Assemblée et réglé son compte aux éléphants qui lui savonnent la planche, il semble être un homme nouveau, à l’aise dans ses pompes, assumant enfin ses « convictions ».

Sur les réseaux sociaux, il ne tend plus l’autre joue et entre volontiers dans la mêlée. A La France insoumise, on le cajole, voire on le serre un peu fort… « Il a pris du volume, une parole claire, on sent qu’il ne traîne plus les semelles de plomb du hollandisme », adoube Alexis Corbière. Même Gérard Miller feint désormais de s’en méfier : « Il faut qu’Olivier Faure arrête d’être aussi bon. Sinon les gens vont recommencer à adhérer au PS… » Ses proches aussi observent une métamorphose. « Il se transcende », souffle Pierre Jouvet, jeune porte-parole socialiste. Résultat : le peu connu Olivier Faure fait une petite percée au fameux classement des personnalités politiques de « Paris Match ». En interne, même ses opposants, ceux qui désapprouvent sa stratégie d’union derrière LFI, sont forcés de reconnaître l’évolution. Un sénateur hostile pose les armes un instant : « Soyons honnêtes, il a pris son risque, il sort renforcé de la séquence. »

Quand on lui tend ce miroir flatteur, Olivier Faure lève péniblement un sourcil et tire longuement sur sa vapoteuse, bien assis dans l’un des fauteuils gris qui remplit son bureau d’Ivry-sur-Seine. La nouvelle star, lui ? Allons… Mais il le concède bien volontiers : oui, il se sent mieux. « Quelque chose s’est libéré en moi, admet-il. Pendant quatre ans, j’ai passé beaucoup de temps à chercher le point d’équilibre. A chaque mot prononcé, je devais faire l’unité entre les sensibilités, veiller à ne froisser personne. A force d’être le notaire du socialisme français, j’avais fini par perdre le goût de la fonction… Depuis l’accord, nous sommes de nouveau entendus. »

Loyauté et « insoumis »

La mue commence au soir du premier tour de la présidentielle. Olivier Faure se prépare depuis des semaines au crash d’Anne Hidalgo. Le score est aussi faible que prévu, la claque, bien réelle, encore plus rude. Dans la nuit, au siège d’Ivry-sur-Seine, lui et ses fidèles comptent et recomptent le maigre bilan socialiste. « On a vite compris une chose : Mélenchon ne fait plus peur à nos électeurs », dit un fauriste. La conclusion est évidente : il faut conclure un accord. Après une raclée pareille, il n’est pas totalement absurde qu’un chef de parti propose de rendre son tablier. L’idée ne l’a pas effleuré. Olivier Faure va plutôt prendre rendez-vous avec le chef des « insoumis ». Jusque-là, les deux leaders s’étaient toujours superbement ignorés. Le 26 avril, ils se retrouvent pour la première fois en tête à tête à l’abri des regards dans un rade près de la gare de l’Est. Cette fois, ces deux grands bavards étirent le temps jusqu’au milieu l’après-midi, se découvrent une langue commune. « J’ai eu le sentiment de la réunification de deux branches du socialisme français », raconte le premier secrétaire.

Toute la campagne, les deux hommes vont afficher leur nouvelle proximité. Quand une journaliste étrangère asticote Mélenchon sur son présumé communautarisme, c’est Faure qui se lève illico pour répliquer à sa place. Un soir, devant les caméras, l’« insoumis » enserre le socialiste par les épaules et le présente à ses troupes comme un lointain cousin. « Bien sûr, Mélenchon est plus radical que nous, il a eu une tentation populiste à une époque. Il y a renoncé par cette alliance avec toute la gauche », analyse Faure. Si l’accord a pu être noué, jure-t-il, c’est que les « insoumis » ont eux aussi bougé. « Ils ont accepté de rester dans l’Union, de ne pas sortir de l’euro, de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine… On ne peut pas dire qu’il se soit comporté comme un tyran qui impose ses vues à tout le monde, ça n’est pas vrai. »

A l’Assemblée, les députés LFI disent de Faure qu’il est « bon camarade », d’une « grande loyauté », généreux en conseils. « Il intervient dans une forme de protection. Je connais ces réunions, on voit vite qui est dans la posture, Olivier n’est pas dans les faux-semblants », glisse Corbière. Lorsque les « insoumis » s’affairent à défendre Eric Coquerel, accusé de harcèlement sexuel, Faure se permet même un conseil : « Faites attention avec ça, les milliards d’euros, ça ne parle pas, mais ces sujets-là, ils peuvent marquer l’opinion. »

Faure serait-il trop soumis aux « insoumis » ? C’est en tout cas la thèse servie par François Hollande, Stéphane Le Foll et les dissidents en tout genre. En faisant siens les marqueurs LFI, – retraite à 60 ans, abrogation de la loi El Khomri –, le patron du PS et ses copains auraient entamé le peu de crédibilité qui restait aux socialistes et hypothéqué leurs chances de convaincre à l’avenir les déçus du macronisme… L’ex-Premier ministre Jean-Marc Ayrault est lui aussi très sceptique. « Je comprends qu’Olivier n’ait pas tellement eu le choix mais les concessions sont excessives et le prix payé, tellement cher. Cela rend la ré-identification encore plus difficile. Où sont les socialistes ? Il est temps qu’ils s’émancipent. Aujourd’hui, on n’entend que les “insoumis” », observe le Nantais. D’autres défendent le chef, sa lucidité. « Sans Olivier et cette stratégie, on aurait fait cinq à dix députés, on n’aurait plus de groupe, on serait devenu le PRG, un parti de baronnies locales… », imagine Pierre Jouvet. « Olivier a retourné une situation très compliquée. Chapeau l’artiste ! », salue l’eurodéputé Emmanuel Maurel.

Dans l’ombre des grands chefs

Qui est Olivier Faure ? A écouter les uns et les autres, c’est une question complexe que beaucoup se posent encore. On le dit affable et sympathique mais aussi secret et du genre insondable. « Il est difficile à cerner », reconnaît Jouvet. « Il a sa vie intérieure, il ne répond pas toujours par oui ou par non, il prend le temps de réfléchir avant de répondre… », énumère Christophe Clergeau, ami de 30 ans. Père de cinq enfants, Faure préfère écrire ses discours jusque tard dans la nuit. Quand il s’ennuie en réunion, ce dessinateur doué s’évade en griffonnant les pages de son Moleskine noir. « Parfois, on a l’impression qu’il n’écoute pas, en fait il se concentre… », déchiffre encore Jouvet.

A Solférino, il fut longtemps un visage au deuxième rang, collaborateur tout en rondeur, lieutenant impassible qui n’attend pas son heure. « Je n’ai pas hérité de quoi que ce soit, je n’étais pas programmé pour être le chef du PS ni même pour être de gauche », dit-il. Sa mère, arrivée en France à 20 ans, était la fille d’un nationaliste vietnamien. Son père, agent des impôts, électeur d’extrême droite par conviction, était sensible aux thèses du grand remplacement. A 16 ans, il prend sa carte au PS. Quand il débarque à Paris pour étudier à la Sorbonne, il vit en colocation avec deux autres jeunes rocardiens, Christophe Clergeau et Benoît Hamon. Un appart « dans son jus » dans le 10e arrondissement, pas loin de Stalingrad.

Au début des années 1990, il découvre l’Assemblée comme assistant du président de la commission des Lois. Après la déroute de 1993, il part dans le privé, dans la boîte de Michel Destot, en Isère, mais la vague rose qui déferle en 1997 le ramène vite vers les rives du pouvoir. Pendant dix ans, il va apprendre dans l’ombre des grands chefs : Martine Aubry et François Hollande. En 2007, il devient secrétaire général du groupe PS, alors présidé par Jean-Marc Ayrault. « J’avais vu qu’il était sous-utilisé au cabinet de Hollande. A l’Assemblée, il était excellent. Il faisait de la politique », raconte l’ex-Premier ministre. Nommé à Matignon en 2012, Ayrault en fera d’emblée son conseiller spécial.

Elu un mois plus tard en Seine-et-Marne, Faure devient un de ces députés qui comptent. Ni frondeur ni tout à fait godillot. Après les attentats de 2015, il se rebiffe contre la déchéance de nationalité. En plein mouvement contre la loi travail, il réussit à faire adopter par un groupe socialiste fracturé un amendement d’équilibre pour sortir de la nasse mais le Premier ministre Manuel Valls n’en veut pas et passe en force avec le 49.3. Dans les rangs, sa loyauté critique est plutôt appréciée. Quand Bruno Le Roux, alors chef du groupe PS, est nommé à Beauvau, les députés élisent Faure à leur tête contre l’avis de l’exécutif. Un ténor resitue : « Il a surtout été choisi par les frondeurs qui voulaient infliger une défaite à Valls. »

Dans le sauve-qui-peut général de la fin de l’ère Hollande, il rencontre le turbulent candidat Emmanuel Macron. Il n’y aura pas de suite. « Faure se fait draguer mais il ne cède pas. Il voit que la candidate En Marche dans sa circo est une nobody et il reste au PS », croit savoir un ex-député. Une fois réélu député, Faure souhaite publiquement la réussite du quinquennat et plaide pour que la gauche participe à la majorité. Son épouse Soria Blatmann vient alors d’entrer au cabinet du président Macron comme conseillère droits de l’homme. A l’époque, le député de Seine-et-Marne préfère s’abstenir lors du vote de confiance au nouveau Premier ministre et transfuge de LR Edouard Philippe. On est à mille lieues du refrain radical entonné aujourd’hui.

De la « renaissance » à l’union

Lorsqu’il prend la tête du PS en avril 2018, il hérite d’une vieille maison en ruine lézardée du sol au plafond. L’ambiance y est délétère. Il a fallu assumer un plan social, il faut vendre le siège du parti, rue de Solférino. Lors d’une manifestation, Emmanuel Maurel se permet un trait d’humour qui dit la sinistrose d’alors. « Pour savoir où est Olivier Faure, suivez les sifflets… » Au congrès de sa prise de fonction à Aubervilliers, il se fait pourtant applaudir lorsqu’il promet la « renaissance ». Il fixe quelques lignes directrices : faire monter de nouvelles têtes, replacer le parti à gauche et pousser pour l’union. Son inventaire du quinquennat Hollande passe complètement inaperçu. Sauf aux yeux de l’ex-président, qui supporte mal de voir son œuvre caviardée par un ancien collaborateur.

En interne, ses opposants lui reprochent d’œuvrer à l’effacement du socialisme français. Autrement dit, de se planquer. Pour des résultats sans éclat. Aux européennes 2019, Faure confie la tête de liste à Raphaël Glucksmann : la catastrophe sera évitée de justesse (6 %). Après les régionales de 2021, comme pour forcer le destin, il proclame que le PS est redevenu « la force motrice de la gauche » mais personne n’y croit vraiment. Dans son camp, on a parfois du mal à comprendre ce premier secrétaire flegmatique qui avale certains mots. Lorsqu’il se pointe à la manif des policiers devant l’Assemblée, il crée un tollé en proposant que les policiers aient un droit de regard sur les décisions de justice. « On touche le fond, au secours, Jaurès ! », tweete alors Mélenchon…

Avant la présidentielle, fidèle à son leitmotiv unitaire, Faure répète qu’il est prêt à se ranger derrière un non-socialiste. Mais les Verts ferment la porte et Hidalgo lui tord le bras. Il finit par soutenir la maire de Paris presque malgré lui. Le problème : ça se voit. « Personne ne souhaite ta victoire », lui dit-il avec maladresse devant les caméras. Déjà à la peine, la candidate le prend en grippe. En coulisses, Faure devient l’analyste perfide des déboires hidalguesques. Lorsqu’il étale ses doutes sur la stratégie et pointe les mauvais sondages, c’est Martine Aubry, son ancienne patronne, qui le rabroue sèchement devant tout le monde. Comme souvent, il encaisse les coups et laisse passer l’orage. « Il ne bronche pas, c’est un taiseux, il préfère les tête-à-tête aux engueulades en public », souffle un dirigeant.

En ce début de quinquennat, il peut se targuer d’avoir en partie rempli ses objectifs : une nouvelle génération pointe son nez dans les territoires et on soupçonne moins le PS de macronisme déguisé. Lui veut jouer à fond la carte de l’union et rêve d’une compétition à la loyale entre les forces de la Nupes. Un opposant croit avoir compris son plan : « Il théorise l’union comme stratégie incontournable. Il pense que la fin de Macron va ouvrir la voie pour un front populaire de combat. » D’ici là, il devra déjà convaincre les derniers militants PS qu’il est toujours leur meilleur chef lors du prochain congrès à l’automne. L’opposition interne n’a pas complètement désarmé. C’est Hélène Geoffroy, la maire de Vaulx-en-Velin, qui portera la motion rivale. Un fauriste se fait moqueur : « Le Foll et les autres ont peur d’y aller. On peut les comprendre, ça fait pas très envie d’être battu par l’éternel numéro 2. »