Motion de censure

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Motion de censure

Dans le cadre de la motion de défiance déposée par les 4 groupes de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale contre le gouvernement d’Elisabeth Borne, j’étais l’orateur du groupe socialiste.

 

Madame la Présidente
Madame la Première Ministre,
Disons-nous les choses simplement.
Cette motion de défiance ne bloquera rien mais elle réparera la première faute de votre mandature. Une faute liée à la lecture que le président Macron fait des institutions. Le vote de confiance ne serait que le blanc-seing que sa majorité doit accorder au premier. Cette lecture de la constitution est une offense pour notre vie démocratique.
Nous sommes tous ici le miroir de la volonté de la nation. Lorsque les Français nous regardent, ils voient représentées les opinions, les préférences idéologiques de la Nation. Et lors d’un vote de confiance, chaque français retrouve cette part de la souveraineté qu’il nous a confié en même temps qu’il constate que sa volonté va devoir composer avec les volontés qui diffèrent de la sienne mais qui, toutes ensemble, forment la souveraineté de la nation.
Le vote de confiance, c’est ce moment où la nation prend conscience d’elle-même dans son unité autant que dans sa diversité.
Puisque nous avons le pouvoir de vous imposer ce vote, nous le faisons. Et cette motion de défiance que nous votons aujourd’hui aura un grand mérite, celui de sortir du confusionnisme nourri par le président qui cite Jaurès le lundi, De Gaulle le mercredi et même Maurras le dimanche. Le président entretient cette idée qu’il serait à lui seul la gauche et la droite, interdisant toute alternative.
Voici venu le temps de la clarification. Cette motion permettra à chacun de se situer et de faire apparaître une vérité qu’il est inutile de masquer plus longtemps aux Français. Il y a une opposition qui s’est rassemblée au sein de la coalition de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale. Il y a une majorité relative, la vôtre. Il y a une majorité tacite, celle que vous formez avec LR. Et il y a même le risque d’une majorité d’opportunité avec le RN.
Vous fissurez sans honte les digues solides qui, depuis le gouvernement provisoire du Général de Gaulle, ont jusqu’ici protégé la République du nationalisme. Cela fait cinq ans que l’eau entrait, goutte à goutte. Et voilà que le débit s’intensifie dangereusement. Ce week-end encore, lorsque votre ministre de l’intérieur se félicite de s’extraire du champ de la raison pour « parler aux tripes des Français », c’est pour reprendre les propositions de M Zemmour ou de madame Le Pen. Où allez-vous ?!
Je n’ose croire que pour imposer votre programme, vous empruntiez le choix de la lâcheté. Vous avez, c’est vrai, avec Le Rassemblement National un partenaire qui serait trop heureux d’acheter à bas prix sa respectabilité par son abstention. Votre responsabilité est immense. Si vous vous entêtez à vouloir imposer votre programme, au prix de la banalisation de l’extrême-droite parlementaire, vous lui ouvrirez les portes du pouvoir. Derrière chacune de leurs voix vous ne pouvez ignorer qu’il y a un cheval de Troie.
Alors comment faire ? C’est assez simple au fond. Renoncez au mode de gouvernement qui est le vôtre depuis cinq ans !
Jupiter c’est fini ! Pendant cinq ans, le président a décidé, le parlement a ratifié. Aux contestations populaires qu’avez-vous opposé, sinon l’indifférence et le mépris ? Ce week-end encore, votre prédécesseur, expliquait que le problème de sa réforme des retraites, qui a mis des millions de français dans la rue, c’était qu’elle était « trop intelligente »!
Il faut en finir avec cette arrogance technocratique qui vous a conduit à penser que vous déteniez le monopole du savoir !
Il y a certaines choses que nous savons et que les Français savent.
Nous savons que dix millions de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté.
Nous savons qu’il y a beaucoup de Français qui ne vivent plus de leur travail ou de retraités de leurs pensions.
Nous savons que l’hôpital public est géré comme une entreprise vouée au profit.
Nous savons que l’école ne vise plus l’émancipation de tous mais la formation de la main d’œuvre que réclame le capitalisme.
Nous savons que les politiques écologistes continuent de passer derrière vos préoccupations économiques.
C’est ça notre savoir madame. C’est ce savoir élémentaire que nous opposons à toutes vos certitudes !
Vous nous opposez la dette. Mais la seule dette que nous ne pouvons pas laisser à nos enfants c’est la dette écologique parce qu’elle est irréversible ! et que ses conséquences sont en cascade : sécurité alimentaire, mouvements migratoires, sixième extinction de masse.
Ce que nous avons fait contre la COVID nous ne pourrions pas le faire pour la planification écologique ?
Alors si vous voulez – je reprends vos mots – « redonner un sens, une vertu au mot compromis », partez de ce diagnostic incontestable.
Dites-nous ce que vous êtes prête à abandonner de cette camisole libérale qui vous interdit d’engager les grandes mesures et les grandes bifurcations que le pays attend ?
Oui il faut de nouveaux compromis. Des compromis qui adaptent la France aux nouveaux défis et aux grandes transitions que nous devons entreprendre. Écologique, numérique, sociale, démocratique, géopolitique.
A cela nous sommes prêts.
Mais un compromis ne procède pas de l’injonction ni ne relève jamais du chantage au chaos.
Je vous ai entendu dire, « le désordre et l’instabilité ne sont pas une option ».
Alors mettons nous d’accord :
Le débat n’est pas le désordre.
Le désordre n’est pas davantage le chahut dans l’hémicycle. Ce bruit n’est rien comparé à la colère qui gronde au dehors et que les murs épais des palais nationaux filtrent pour qu’ils vous parviennent dans un murmure.
Le vrai désordre c’est l’injustice !
Vous vous proclamez à la tête d’un gouvernement d’action. Personne ne vous reproche de ne pas avoir agi pendant cinq ans. Nous vous reprochons d’avoir agi au détriment de toute idée de justice, c’est très différent.
Vous prétendez maintenant que vous ne voulez pas lever de nouvel impôt. Je vous fais crédit de ne pas vouloir en lever pour vos premiers de cordée, qui réalisent pourtant des profits record, mais je m’élève en faux pour tous les autres.
Vous avez prolongé la CRDS de 9 ans pour prélever 121 milliards supplémentaires sur les Français.
Vous voulez maintenant reculer l’âge légal de départ à la retraite de trois ans pour accéder à une pension identique. Or qu’est-ce d’autre qu’un nouvel impôt ? Un impôt sur ceux qui devront cotiser plus longtemps, un impôt sur la vie de ceux qui ont les métiers les plus pénibles !
Vous prélevez désormais un milliard et demi par an sur l’assurance chômage, qu’est-ce d’autre qu’un impôt sur les plus précaires, au premier rang desquels les femmes qui élèvent seules leurs enfants, les jeunes sans situation établie ?
Si vous souhaitez trouver des points d’accord avec les socialistes, comprenez d’abord que notre raison d’être n’est pas l’abdication devant les forces du capital. Nous sommes ici les représentants du travail !
Nous voulons des salaires dignes. Êtes vous prête à porter le SMIC à 1500 euros et à convoquer une conférence salariale pour une réévaluation complète des grilles ?
Nous voulons mettre fin à cette nouvelle forme d’esclavage des travailleurs ubérisés qu’Emmanuel Macron a encouragé. Êtes-vous prête à ce que la condition de salarié soit présumée dès lors que la subordination est constatée ?
Nous voulons que cessent les décisions arbitraires des actionnaires. Êtes-vous disposée à ce que capital et travail soient représentés à égalité dans les conseils d’administration ?
Nous voulons mettre un terme à cette formidable inégalité qui conduit encore à ce que les femmes soient en moyenne payées 20% de moins que les hommes. Consentez-vous à ce que l’égalité salariale s’impose sur cinq ans sous peine de sanctions ?
C’est le contrat républicain qui est en jeu. C’est dans la recherche de la justice, de la défense des biens communs, du refus de la corruption et des privilèges, que réside la légitimité de toute action publique.
Êtes-vous disposée à réimposer au même barème les revenus de la rente et ceux du travail ? A revisiter la fiscalité des successions des très grands patrimoines ?
L’ambition républicaine réside dans le fait de mettre la force de tous au service de chacun. `
La défense de nos services publics est un impératif. L’accès aux soins ce n’est pas la fermeture en soirée des services d’urgence. L’accès à l’éducation ce ne sont pas des classes qui ferment faute de volontaires pour embrasser la carrière d’enseignants.
Sans la puissance publique la société n’est pas libérale mais féodale !
Vous n’utilisez la République que comme un argument d’autorité qui permettrait de clore toute forme de contestation. C’est un contresens absolu. La République n’est pas un monument figé dont vous détiendriez les droits exclusifs !
Elle est une promesse. Jamais totalement accomplie. Un horizon qui permet d’avancer vers l’émancipation de chaque individu. Et chaque fois que cette promesse est vécue comme un mensonge alors tout s’effondre.
L’école, la formation, la possibilité d’accéder à un emploi de qualité, la santé, la justice, la sécurité en sont les premiers piliers. Mais c’est aussi le droit à ne pas être discriminé, à être entendu, à pouvoir négocier dans l’entreprise, à disposer de droits syndicaux, qui permettent d’équilibrer les positions qu’occupent les puissances de l’argent.
L’assurance-chômage, le RSA, l’assurance-maladie, la retraite, ne sont pas les outils d’un pseudo assistanat, mais le capital de ceux qui n’en ont pas.
La République est vivante lorsque nous progressons ensemble vers plus d’égalité. Lorsque l’État agit pour tous et non pas pour le bénéfice et le triomphe de quelques intérêts aux dépens de tous les autres. C’est dans ces moments-là que la Nation prend corps et l’unité nationale prend forme.
Madame la Première ministre, je conclue. Montrez-nous que vous avez changé ! Montrez-nous que votre pratique du pouvoir s’est accordée avec sa faiblesse nouvelle. Montrez-nous que vous avez compris de quel côté de l’hémicycle il vous faut regarder. C’est dans ces conditions que nous pourrons bâtir d’éventuels compromis. Nous attendons vos gages. D’ici là, nous avons le devoir d’être défiants.