Réponse à la déclaration de politique générale du Premier ministre

Réponse à la déclaration de politique générale du Premier ministre

Monsieur le président,

Monsieur le Premier Ministre,

Mes chers collègues,

Je regarde notre assemblée, elle a été profondément renouvelée.

Au nom de cette légère antériorité qui me distingue, je souhaite à toutes et tous la bienvenue. Certains ont pu moquer le noviciat d’une part d’entre vous. A tort. D’abord parce que nombre d’entre vous cachent une déjà longue expérience de la vie politique… Surtout parce que nous sommes tous présents dans cette enceinte par la volonté du peuple et donc avec une légitimité identique indépendante de nos états de service antérieurs.

Je dirais donc les choses autrement. Le désir de changement a emporté nombre de femmes et d’hommes qui avaient encore beaucoup à dire et à apporter à notre pays.

A vous de montrer maintenant que vous les remplacez dignement.

En mai puis en juin, les Français ont choisi de donner une légitimité au nouveau pouvoir. Soit en affichant leur consentement par leur vote, soit en ne vous opposant pas de résistance a priori, par leur abstention. Jusqu’ici les Français vous ont donc suivi sans tout à fait vous suivre. Les Français ont marché plus qu’ils ne sont mis en marche.

Votre majorité est la plus large de l’histoire de la Vème République, mais votre socle électoral est le plus faible.

Dit avec d’autres mots, les français souhaitent « donner sa chance » à une nouvelle expérience mais leur scepticisme est encore à la hauteur de leur adhésion.

Peut-être entendent-ils en leur for intérieur la voix d’Arletty dans « les enfants du Paradis », leur souffler que, finalement, « la nouveauté c’est vieux comme le monde« .

Mais c’est le propre de toutes les nouvelles majorités de penser que tout commence avec elles. C’est l’enthousiasme des premiers jours, la fougue aveugle des commencements.

Qu’avez-vous finalement dit à nos compatriotes?

Que vous vouliez opposer aux mythes fanés du « vieux monde » les rythmes et la couleur d’un « monde nouveau » dont vous auriez les clés.

Qu’il y aurait dans cette confrontation quelque chose de plus fécond.

Que ce clivage entre anciens et modernes serait désormais le seul pertinent et qu’il devrait remplacer celui dépassé entre la gauche et la droite.

Qu’il n’y aurait désormais plus rien entre un hyper-centre progressiste et des périphéries dangereuses.

Le progressisme n’appartient à personne. Ni à vous, ni à moi. Chacun peut s’en revendiquer. Ses contours sont aussi flous que ceux de la modernité. Qu’est-ce que le progrès? Qu’est-ce qui est moderne? La pensée écologiste est venue depuis interroger utilement ces notions. La nouveauté, ce n’est pas toujours le progrès. Elle porte sa part d’artifices et d’illusions. Gardons nous de tomber dans cette fuite en avant qui substituerait à l’alternance entre gauche et droite, une alternance tous les 5 ans entre neuf et vieux. Viendra le jour où le neuf prendra l’apparence du monstre et où ce sera au nom de valeurs séculaires que nous devrons le repousser.

Ce qui compte pour nos concitoyens, c’est le travail qui donne à chacun une dignité, c’est la reconnaissance de leur contribution à la création de richesse, ce qui les libère des charges de la vie courante, c’est la protection de leur qualité de vie, la préservation de leur santé, la garantie de leur sécurité, la possible émancipation de leur condition, un véritable droit à l’avenir pour leurs enfants.

En ces matières, il y a un bilan auquel le Président de la République a lui-même sa part.

La priorité absolue donnée à l’éducation, la volonté d’ouvrir l’accès aux soins à tous avec le tiers payant généralisé, la possibilité de se former désormais tout au long de la vie à partir de droits ouverts dans un compte personnel d’activité, la possibilité de conserver ses droits acquis à l’assurance chômage en retrouvant un nouvel emploi, le droit à la retraite à 60 ans pour les carrières longues, la reconnaissance de la pénibilité pour fixer l’âge de départ à la retraite, la lutte contre le réchauffement climatique avec le succès international de la COP 21, l’engagement courageux de nos troupes contre le terrorisme…

Ce bilan je n’ai pas peur de dire que j’en suis fier. Pas plus que je n’ai peur de dire qu’en 2012 il fallait restaurer les taux de marges des entreprises françaises qui étaient parmi les plus faibles d’Europe. Parce que c’est ainsi que se financent l’investissement, la recherche et le développement, le renouvellement de l’appareil productif, la formation… La gauche ce n’est pas l’archaïsme.

Nous n’avons pas tout réussi. Nous n’avons pas toujours été assez loin. Nous n’avons pas toujours su non plus expliquer ce que nous faisions, ni pourquoi nous le réalisions. Nous nous sommes beaucoup divisés. Et comme toujours nous avons d’abord regardé ce qui n’avait pas été fait avant de nous féliciter de ce qui l’avait été : mais, des nouvelles règles européennes de supervision bancaire à la taxation du capital au même niveau que le travail, en passant par la loi de séparation bancaire nous n’avons jamais cessé d’avancer.

En rappelant ces décisions méconnues, j’espère m’être mieux fait comprendre sur ce que progrès – à notre sens – veut dire.

Hier, le président a eu cette phrase : « il sommeille en chacun de nous un cynique« . En la matière le cynisme consisterait au nom d’un monde nouveau à revenir sur ces belles avancées.

Le cynisme c’est aussi, comme vous venez de le faire, Monsieur le Premier Ministre, de surjouer le coup très classique du bilan en matière de déficits. Je ne reviens pas sur une majorité que vous avez soutenu et qui ne fut pas exemplaire en la matière, ce jeu là n’apporterait rien de plus au débat. Mais préparer vos renoncements, justifier vos coupes claires par notre bilan relève de la mystification. Pendant la campagne présidentielle, j’ai entendu Emmanuel Macron – qui n’était encore que candidat – se revendiquer de l’oeuvre de figures illustres qui ont marqué notre pays. Il ne serait que justice qu’à votre tour vous vous revendiquiez de son bilan au ministère de l’économie et des finances.

Mais parlons d’avenir,

Monsieur le Premier Ministre, vous sollicitez la confiance de cette Assemblée. Je veux d’abord vous dire mon estime personnelle. Elle est réelle, elle est ancienne. Elle n’est pas politique.

Vous vous êtes donc mis en marche.

Comme je vous sais homme de droite et homme de conviction – ce n’est pas incompatible – je me dis que vous n’avez pas accepté Matignon pour le simple plaisir d’ajouter votre nom à celui de vos prédécesseurs.

Quelle sera votre marque? La République en Marche se veut ambidextre, elle a été jusqu’ici ambigüe.

De quelle main écrirez-vous donc la politique de la Nation dont vous avez désormais la charge?

Vous voulez transformer l’école? Nous aussi.

Vous voulez renforcer l’effort de la nation pour l’école élémentaire, nous aussi.

Mais à la lumière de vos premières annonces le progrès pour tous sera-t-il au rendez-vous ? Il est permis d’en douter quand montent les inquiétudes sur le dédoublement des CP – non sur le principe – mais sur ses modalités dans une dangereuse improvisation. Pourquoi n’avez-vous pas commencé par évaluer avant d’évoluer. C’est pourtant ce que j’ai cru comprendre hier de la méthode présidentielle qui ne peut être une communication sans lendemain.

Vous souhaitez faire évoluer l’organisation du travail? Nous aussi.

Vous souhaitez renforcer l’indemnisation du chômage pour tous et ouvrir de nouveaux droits à la formation professionnelle, nous aussi.

Le monde du travail est prêt au dialogue. Vous avez engagé une concertation. Très bien. Mais pourquoi devrait-elle s’arrêter aux portes du Parlement? Vous décrétez l’urgence sur la loi d’habilitation mais celle-ci ne vaut que pour la dérégulation et pas pour la création de nouvelles protections. Avec vous, l’urgence c’est la flexibilité, la sécurité peut attendre.

Au lieu de ce débat tronqué par le biais des ordonnances, il y avait place pour un vrai débat parlementaire permettant d’aboutir à simplifier sans détruire et à favoriser la mobilité par l’institution d’une sécurité sociale professionnelle.

Vous souhaitez augmenter le salaire net des salariés? Nous aussi.

Mais vous prévoyez dans le même temps de compenser cette hausse par une baisse du pouvoir d’achat des retraités qui paieront plus de CSG à partir de 1200 euros de pension quand simultanément vous prévoyez d’exonérer d’impôt sur la fortune les actionnaires… Au contraire vous pourriez utiliser la créativité de vos services pour mettre en place une CSG dégressive qui s’applique à tous les revenus et pensions.

Vous voulez partiellement supprimer cet impôt injuste qu’est la taxe d’habitation? Nous aussi.

Mais votre volonté d’épargner 80% des ménages sera financée par les collectivités locales que vous ne compenserez que par une moindre baisse de leurs dotations. La conséquence sera soit la hausse de la taxe d’habitation pour les 20% qui continueront de la payer, soit la hausse de la taxe foncière, soit la dégradation des services publics locaux…

Nous vous proposerons une réforme de l’impôt sur le revenu dont une part serait dédiée aux collectivités locales.

Vous voulez moraliser la vie publique? Nous aussi.

Notre volonté d’en finir avec le mauvais feuilleton judiciaire est identique mais nous voulons aller plus loin en respectant notamment les engagements de campagne du président de la République sur l’interdiction des activités de conseil ou l’exigence d’un casier judiciaire vierge. Vous n’évoquez que la moralisation de la vie publique, nous souhaitons que le Parlement ne reste pas muet sur la moralisation de la vie économique.

Vous souhaitez approfondir la démocratie? Nous aussi

Le Président a esquissé ses contours hier. Sur l’indépendance de la justice, nous serons là. Sur le nouveau rôle confié au conseil économique et social, nous partageons. Sur le non cumul dans le temps, nous avions nous-même émis la proposition.

Mais nous appelons au discernement de chacun sur la réduction du nombre de parlementaires élus au scrutin majoritaire. Il peut arriver que céder à la foule se fasse au détriment des intérêts du peuple. Quelle sera la proximité de ces élus avec leurs électeurs lorsque leurs circonscriptions seront trop vastes, à cheval sur plusieurs départements, avec des centaines de communes? Vous dites que la diminution du nombre de parlementaires donnera plus de moyens en collaborateurs à ceux qui restent? Mais est-ce que le remplacement d’élus par des collaborateurs constituerait un progrès?

Voilà monsieur le Premier Ministre, nous partageons nombre de vos objectifs, mais nous ne mettons pas forcément les mêmes décisions derrière les mêmes mots.

La recherche du compromis n’est pas condamnable. Ce qui l’est, c’est de laisser penser que sur chacune de ces décisions, il n’y a qu’une réponse, celle d’une nouvelle pensée unique.

Le compromis, c’est la rencontre de points de vues différents, opposés, qui s’accordent sur une réponse provisoire, une réponse qui tienne compte d’une situation, d’un rapport de force, de nécessités ou de réalités.

Cette majorité affiche sa volonté de participer au renouveau de la vie politique. Nous voulons en accepter le présage. Ne pas condamner par principe, par réflexe, par sectarisme.

Nous jugerons sur pièce votre volonté d’en finir avec les majorités caporalisées et les débats verrouillés. Nous verrons alors si vos proclamations ont une effectivité ou si elles ne sont que la traduction moderne d’une langue morte.

C’est la raison pour laquelle le groupe Nouvelle Gauche s’abstiendra. Cette abstention dit notre liberté. Celle de vous approuver comme celle de vous combattre.