Le fauteuil du premier secrétaire

Le fauteuil du premier secrétaire

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Si les murs de ce bureau avaient la parole, ils pourraient raconter l’essentiel de ce qui s’est discuté entre dirigeants socialistes depuis onze ans. Les étagères sont désormais presque vides. Les cartons de livres s’empilent dans le bureau de Yasmina son assistante depuis treize ans.

Dans quelques heures François Hollande y sera remplacé par une femme, Martine ou Ségolène, qui aura la responsabilité de diriger et animer le parti socialiste. Celle qui prendra place dans ce fauteuil de cuir bleu découvrira dès lundi la difficulté de la charge.

Les militants socialistes ont connu quatre phases (discussion des contributions, puis vote des motions, puis congrès et enfin désignation du 1er secrétaire), à chaque étape la décantation n’a pas eu lieu. Le résultat de ce soir sera le premier à dégager une majorité. Mais cette majorité courte fera apparaître un parti coupé en deux.

Cette situation n’est pas nouvelle. Le parti socialiste a depuis son origine toujours connu des oppositions fortes entre ses leaders. Jaurès et Guesde, Blum et Cachin, Mayer et Mollet, Mitterrand et Rocard… Mais la balkanisation n’a certainement jamais été aussi importante.

L’heure n’est pas encore, ou déjà plus, aux hommages. Pourtant il en aura fallu du talent et de l’habileté pour que François Hollande parvienne à rassembler sans relâche les socialistes. La « synthèse » est devenu un mot horrible. Attention à ne pas être pris en flagrant délit de la rechercher, la condamnation tombe instantanément : vous êtes reconnu coupable de compromis forcément molassons.

La mode est aux débats tranchés. Sur chaque sujet, il faudrait dégager une majorité et une minorité. C’est l’apparence du bon sens. La vérité est plus complexe. Certes la démocratie a besoin d’alternatives et de choix clairs. Rien n’est pire que l’indifférenciation qui conduit les électeurs à tirer un signe égal entre les principales formations, puis à opter pour l’abstention ou le vote protestataire. Mais la politique c’est aussi l’art de fédérer, de rassembler son camp pour le mettre en ordre de marche et en capacité d’emporter la victoire. C’est cette qualité, cette inclination permanente, ce respect des autres qui auront marqué le passage de François Hollande rue de Solférino.

Que va-t-il faire maintenant? Comment ce boulimique de travail va-t-il occuper un agenda jusqu’ici surchargé de rencontres destinées à la coordination de la vieille maison? Etrange destin que le sien. Après avoir grandi dans l’ombre de Lionel Jospin 1er ministre, il a été bombardé chef de l’opposition le soir du retrait du même, le 21 avril 2002. Avec lui, toutes les élections locales ont toujours été un succès. En 2004, la presse le sacra « homme de l’année » pour ses victoires au régionales, cantonales, européennes et sénatoriales et au référendum interne sur le traité constitutionnel. Si le 29 mai 2005, le Non ne l’avait finalement largement emporté, la suite eût été très différente. Le congrès du Mans n’aurait pas été celui d’une sortie de crise entre « ouistes » et « nonistes« , mais celui de l’investiture du 1er secrétaire pour les élections présidentielles…

Affaibli par le scrutin référendaire, François n’a sans doute jamais renoncé à sa propre étoile, mais n’a jamais rien fait non plus pour bloquer ou nuire à la candidature d’un-e socialiste mieux placé-e que lui. Je crois pouvoir dire qu’il a au contraire toujours veillé à protéger, préserver ceux qui pouvaient, le moment venu incarner notre combat commun. Ensuite, contrairement à certaines thèses en vigueur, il s’est toujours montré disponible pour travailler à l’arrachement d’une victoire en 2007 qui n’est pas venue.

Que lui souhaiter ? sans hésitation, qu’il soit enfin lui-même. Après avoir porté la parole collective, qu’il exprime sa pensée singulière. Qu’il donne aux Français l’occasion de saisir cette intelligence aiguisée que les journalistes louent tout en s’étonnant du décalage entre l’homme et son image médiatique.

Au congrès de Reims, François a renoncé à prononcer sa traditionnelle intervention du dimanche matin. Il fallait que l’heure soit grave pour qu’il renonce à parler… Il nous a ainsi privés d’un discours d’adieux. Je soupçonne qu’il n’y tenait guère. Pour deux raisons : François est un grand pudique et puis les discours nostalgiques, c’est bon pour ceux qui s’en vont. Il ne faudrait pas confondre départ et nouveau départ